1. Mickaël

Je regarde Nina s’affairer sur le dessin de son prochain tatouage, concentrée, les sourcils froncés et la langue légèrement sortie. Il y a une intensité dans son regard qui me captive toujours, une détermination et une passion qui rendent difficile de détourner le regard. Je repousse une mèche en râlant et tente de refaire un chignon sans y parvenir.

– Hey, Mick, tes cheveux te gênent encore ? me taquine-t-elle sans lever les yeux de son dessin.

Mes longs cheveux blonds tombent devant mes yeux, m’empêchant de voir correctement.

– J’allais justement te demander un service, je réponds en souriant.

Nina dépose son crayon, se lève et s’approche de moi. Son sourire espiègle me dit qu’elle sait déjà de quel service il s’agit.

Elle prend délicatement mes cheveux entre ses doigts et commence à les tresser. C’est un rituel qu’on a depuis un moment, un instant de calme au milieu du chaos du salon. Alors qu’elle tresse mes cheveux, je ferme les yeux, me laissant envahir par la sensation apaisante de ses doigts sur mon cuir chevelu.

Lorsqu’elle a terminé, elle tape légèrement sur mon épaule.

– Voilà, t’es prêt pour ton tatoo maintenant.

Elle me lance un clin d’œil avant de retourner à son dessin.

Les aiguilles de la machine à tatouer bourdonnent comme si un essaim d’abeilles avait envahi le salon. L’encre noire se mélange à des gouttes de sang sur la peau du crâne rasé de mon client. Un immense aigle royal prend forme, ses ailes étendues sur les côtés du crâne.

– Ça va, tu tiens le coup ? je demande à mon client.

Il acquiesce, ses mains serrées sur les accoudoirs du fauteuil de tatouage.

– Ça va. Je savais que ça allait faire mal.

Il réplique tranquillement, bien que sa voix tremble légèrement.

Je lui offre un sourire réconfortant et continue mon travail, perdant rapidement la notion du temps. C’est une des choses que j’aime le plus dans ce métier. Lorsque je suis concentré sur un tatouage, le reste du monde semble disparaitre.

Je sens une présence derrière moi, une chaleur familière qui n’appartient qu’à une seule personne. Un sourire en coin se forme sur mon visage lorsque je tourne la tête pour apercevoir Nina qui me regarde faire, ses bras croisés sur sa poitrine, son visage sérieux mais émerveillé. J’ai l’habitude. Elle a toujours été intéressée par mon travail, prenant des notes et posant des questions, toujours désireuse d’apprendre. Son apprentissage a été très rapide et fluide.

– C’est incroyable, Mick, dit-elle, ses yeux fixés sur le tatouage. Je ne sais pas comment tu fais ça. C’est comme si tu faisais prendre vie à l’aigle.

Je hausse les épaules, mon attention toujours concentrée sur mon travail.

– C’est juste une question de pratique.

Elle reste silencieuse pendant un moment avant de répondre.

– Non, c’est plus que ça. C’est du talent.

Je ris doucement, mais je ne peux pas nier le sentiment de fierté qui me traverse. J’aime tatouer, c’est mon métier, mais l’admiration dans les yeux de Nina me rappelle que c’est plus que ça. C’est ma passion et une part de moi que je partage avec elle depuis 2 ans, depuis qu’elle est devenue mon apprentie, alors même que j’avais juré que je n’en prendrais plus jamais.

– Merci, Nina, je murmure, avant de retourner à mon travail.

Alors que je continue à tatouer, Nina reste à mes côtés, silencieuse. Sa présence me réconforte et me motive, sans que je ne sache vraiment pourquoi ça compte autant.

Le reste de l’après-midi se passe dans une ambiance détendue, chacun de nous étant absorbé dans son travail. En fin de journée et après un diner fait de plats livrés, on quitte le salon pour se diriger vers la boite de nuit locale, un changement de rythme bienvenu. Fabrice et Benjamin, mes 2 amis et tatoueurs résidents, nous accompagnent avec leur humour et leur énergie débordante. On sort toujours tous les 4. Personne ne nous attend chez nous, alors on en profite tous.

Dans l’atmosphère vibrante de la boite de nuit, Nina semble s’épanouir encore plus. Ses cheveux bruns frisés dansent autour de son visage alors qu’elle se déhanche sur la piste de danse. Je reste en retrait, l’observant du coin de l’œil tout en sirotant une bière. Elle déborde de bonne humeur, attirant tous les regards vers elle et ses formes généreuses.

Je vois un homme venir vers elle, l’éclair d’anticipation dansant dans ses yeux. Elle se laisse approcher. Un pincement inexplicable se fait sentir dans ma poitrine alors que je les observe danser, riant et chuchotant à l’oreille l’un de l’autre.

– Salut beau gosse, tu danses ?

Une blonde élancée se rapproche de moi en faisant virevolter ses cheveux parfumés. Son sourire est suggestif, ses intentions transparentes, mais elle ne m’intéresse pas. Je lui souris poliment, en refusant son offre.

– Non merci, je préfère observer ce soir.

Elle ricane d’un rire aigu et faux qui me fait grincer des dents.

– Dommage, tu rates quelque chose…

Elle s’éloigne en ondulant, à la recherche de sa prochaine cible.

Je crois pas.

Un rire retentit à côté de moi, je tourne la tête pour voir Fabrice, un sourire espiègle aux lèvres.

– Tu as une touche !

– Pas intéressé.

– Je sais, lâche-t-il en s’éloignant vers la nana qui ne le lâche pas des yeux depuis plusieurs minutes.

Comment ça il sait ?

Qu’est-ce qu’il veut dire par là ?

Je continue d’observer Nina, satisfait de la voir repousser ce type qui devenait trop tactile à mon gout. Elle le rabroue assez fort pour qu’il décide de s’en aller, nos regards se croisent quelques secondes avant que Nina ne reprenne sa danse endiablée au milieu de la foule.

Quand la soirée se termine, Fabrice et Benjamin repartent chacun au bras d’une femme, nous laissant Nina et moi en tête-à-tête. Classique et prévisible.

 Je la raccompagne jusque chez elle, bras dessus bras dessous.

– Je suppose que tu vas rentrer à pied ?

Elle me taquine, sachant très bien que j’habite à l’autre bout de la ville. Je lui lance un regard fatigué.

– Allez, viens. Le canapé t’attend.

Je ris, acquiesçant avec un hochement de tête, avant de déposer une bise sur sa joue.

On pénètre dans sa petite maison, j’y entre naturellement. Ce n’est pas la première fois que je dors chez elle après une soirée, et c’est pareil pour elle. Elle connait mon appartement autant que je connais sa baraque, on ne se pose pas de questions. C’est un peu bizarre pour certains, elle est mon apprentie après tout. Mais ça s’est fait naturellement dès la première soirée où j’avais un peu trop bu. Il ne s’est jamais rien passé entre nous malgré ce qu’on pourrait imaginer. Je suppose qu’elle me voit comme son grand frère.

– Je me fais un thé, t’en veux ?

– Ouep, merci.

Notre complicité reprend le dessus. On partage un thé tardif, discutant et riant au sujet de la soirée, jusqu’à ce qu’elle bâille, portant sa main à sa bouche.

– On devrait aller se coucher. On a du taf demain.

Je la regarde avec tendresse alors qu’elle se lève du canapé.

– T’es sûr que le canapé te va ?

Nina me jette un regard interrogateur, sa tasse de thé encore à la main. Je hoche la tête, rassurant.

– Ouais, Nina, t’inquiète. C’est devenu mon meilleur ami maintenant.

Alors que je m’installe pour dormir, je sens une paix familière envahir mon esprit. Malgré la soirée mouvementée, je m’endors rapidement, bercé par l’odeur de la couverture que j’utilise souvent et la certitude que Nina n’est pas loin.

Et alors que je glisse dans le sommeil, une pensée s’impose à moi : Nina fait partie intégrante de ma vie. Et je ne veux pas la laisser partir une fois son apprentissage terminé.

Je suis pas prêt.